Ce que je pense du rapport sur la liberté d’expression en ligne au Cameroun de PEN-CPJ-ISF du 15 octobre 2012

La liberté d’expression en ligne au Cameroun, les médias et les citoyens camerounais doivent cesser d’être votre fonds de commerce

« Internet Sans Frontières, PEN International et Committee to Protect Journalists viennent de remettre au Conseil des Droits de l’Homme un rapport sur le Cameroun. Dans le cadre du prochain examen périodique de ce pays d’Afrique Centrale devant le Conseil, Internet Sans Frontières fait état de sa vive inquiétude quant au respect de la liberté d’expression en ligne des citoyens, et la garantie d’un accès universel à Internet, non entravé par des barrières tarifaires. » Cet extrait tiré du site web d’Internet Sans Frontières pourrait résumer ce que cette association d’organisations a produit comme rapport sur le Cameroun.  L’information a été reprise mondialement sur un certain nombre de publications en ligne et dans certains journaux et chaînes de télévision et de radio. Spécifiquement, la phrase mis en exergue par les différents organes de presse, également publiée sur le site  d’Internet Sans Frontières, est claire : «  La liberté d’expression est en danger au Cameroun ». Le rapport qui est consultable et téléchargeable en ligne pose, à mon sens, quelques contre-vérités, contre-faits et mauvais exemples à remettre en cause dans le cadre d’un rapport professionnel devant se baser sur une démarche méthodique et scientifiquement vérifiable.

En réalité, ce que l’on pourrait appeler les chefs d’accusations d’Internet Sans Frontières et Cie vont au-delà du petit résumé ci-dessus. Le document de 10 pages structure son propos autour de quelques points, notamment : la persécution des écrivains, journalistes et musiciens ; l’octroi de peines criminelles pour des fautes commises par voie de presse ; la rudesse des lois sur la diffamation ; la régulation de la presse par l’octroi de licences onéreuses ; la division du temps d’antenne en faveur du parti au pouvoir lors des élections présidentielles dernières ; Internet et la liberté d’expression en ligne… A ces sujets des faits auraient dû être pris en compte.

La loi vis-à-vis des journalistes de l’ambiance

Lorsque ce rapport parle de la persécution des écrivains, journalistes et musiciens, quelques citoyens camerounais sont portés en exemple pour justifier l’assertion : Enoh Meyomesse, Bertrand Teyou, Germain Cyrille Ngota Ngota (Bibi Ngota « Paix à son âme ! ») et ses compères, Lapiro de Mbanga. C’est à se demander pourquoi ces seules personnes qui dans la plupart des cas sont des mauvais exemples. Ils se comptent par dizaines ceux des écrivains camerounais qui rédigent et publient des brûlots diffamatoires en longueur d’années sur tous en général et sur les autorités camerounaises en particulier. Pour ce qui est des « journalistes » cités en exemples (exception faite de Adolarc Lamissia dont l’exemple est fondé), l’on en compte par centaines comme ce même Bibi Ngota qui commettent des crimes sur les citoyens camerounais par le canal de journaux sous aisselles, publications dans les mallettes, siège d’organes de presse sur les langues des « journalistes de l’ambiance »…A titre d’illustration, Robert Mintya a refusé la distinction à lui attribuée par une association Norvégienne de même qu’à ses confrères de fortune pour saluer « la liberté de la presse » après la mort de Bibi Ngota.

En outre, dans ce rapport il est impératif de supprimer les peines criminelles dans le cadre des délits de presse. Dans ce cadre, les sanctions pénales prévues en cas de diffamation par voie de presse devraient au sens de ces organisations basées à Londres, New York et à Paris être complètement retirées du code pénal Camerounais. C’est à se demander si les organisations ayant commis ce rapport sur la soi-disant liberté d’expression promeuvent en même temps le non respect éthique et déontologique dans l’exercice de la profession de journaliste, l’impunité de certains citoyens devant loi parce qu’appartenant à ce corps de métier. Les mêmes droits de l’homme que l’on vante tant dans ce rapport ne stipulent-ils pas l’égalité de tous devant la loi ? Combien de médias ou de citoyens insultent, diffament, portent atteinte à l’autorité et à l’intégrité de l’Etat au quotidien sans être inquiétés un seul instant pour ces infractions ? Le mécanisme de sélection de vos exemples devrait selon moi être le fruit de données statistiques fiables devant permettre à vos différents interlocuteurs de faire le ratio par eux-mêmes. Ce qui aurait permis de tirer des conclusions non moins hâtives sur des faits quantifiables juste avec un peu de volonté.

L’audiovisuel : de la création à la présidentielle

Au sujet de licences onéreuses exigées pour la création des médias audiovisuels au Cameroun, le rapport ne ment pas quand il stipule qu’il faut 25 millions de francs CFA pour ouvrir une chaîne télévision privée non commerciale à audience nationale contre 100 millions dans le cas où elle est commerciale. Pour les télévisions locales, il faut 50 millions pour la commerciale et 10 millions pour la non commerciale. Mais il ne précise pas que, seuls 4 organes de presse audiovisuels privés détiennent une licence au Cameroun sur plus d’une quinzaine de télévisions en fonction dans le pays et une centaine de radios. En ce qui concerne le média radio, il faudrait verser une caution de 500 mille francs CFA pour les radios locales non commerciales et 10 millions de francs CFA pour les commerciales. Afin d’ouvrir une radio nationale, il faut verser 50 millions pour la commerciale et 10 millions pour la non commerciale. En ce qui concerne les publications de presse écrite, plus de 600 titres de presse écrite sont déclarés, juste un récépissé de dépôt de dossier à la sous-préfecture pour l’ouverture du journal suffit comme carte d’identité de l’entreprise. Vous estimez peut être que c’est trop, mais je crois que si on fait un tour dans les lois des différents pays où siègent les mêmes organisations qui ont fourni ce rapport ces sommes sont insignifiantes quant à ce qui est exigible dans ces Etats.

Dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle du 09 octobre 2011, le rapport de PEN-CPJ-ISF estime que le temps d’antenne pour le passage dans les espaces politiques sur la CRTV a été imposé au média audiovisuel de capitaux publics. Pire, dans les éditions de journaux parlés, les reportages au sujet du déploiement des équipes de campagnes du candidat Biya étaient plus abondants par rapport à ceux des autres candidats. Permettez-moi d’éclairer votre lanterne, c’est normal que le temps d’antenne réparti entre les candidats ne soient imputables qu’à la CRTV, la loi le prévoit ainsi et pour cause l’office de radiodiffusion camerounais a le devoir de service public. La loi ne prévoyant pas des espaces politiques de campagnes pour les médias audiovisuels privés, ceux-ci en principe auraient dû ne pas diffuser des émissions de débats dans le cadre de cette élection. Cependant l’Etat a laissé faire ces mêmes médias qui opéraient dans l’illégalité, accordant de ce fait des temps d’antenne de leur convenance aux candidats de leur choix. Et pour cause, la loi au sujet de la communication en période électorale est en toilettage. Outre ce fait, il faut noter, pour que les reportages au sujet de la campagne électorale de tous les candidats soient abondants au même pourcentage, tous les candidats devraient également organiser à la même intensité que le candidat Biya des meetings dans toutes les régions du pays sans exception en déployant leurs membres. Mais je pense humblement qu’ils ont préféré faire des « économies » sur la subvention accordée par l’Etat pour soutenir les différents candidats. Ce sont des éléments de jugements que vous auriez dû examiner dans ce sérieux rapport.

Internet libre

Le point culminant du document qui justifie ce post porte sur Internet et la liberté d’expression en ligne au Cameroun. C’est à ce niveau où les arguments sont les plus déconcertants (Attendez je copie et colle) : “Cameroonian Internet users pay on average $50 USD for 64kb per second to access Internet, according to the ITU. By comparison, the telecom company Ariase found that a French user pays $20 USD for 28 MB per second; that is to say 2.5 times less for a connection which is 437 times faster.” Je ne sais de quel Cameroun on parle ici. Au Cameroun dans un cyber café, les internautes paient entre 150 et 200 F.CFA l’heure, soit 0, 3 à 0,4 USD, et au plus 500 à 1000 F.CFA 1 à 2USD l’heure (pour environ 128 KB) dans les cyber café les plus luxueux et les zones les plus réculées. Avec les clés disponibles chez les fournisseurs d’accès Internet, il faut entre 10 000 et 25 000 francs CFA le mois pour environ 256 KB, soit 20 à  50 USD. Tous ces coûts permettent aux citoyens de classe moyenne de pouvoir être en ligne régulièrement.  En dehors des chiffres à rectifier, il vaudrait mieux apprendre à comparer les Etats à économie semblable. Cela aurait été plus valeureux de faire la comparaison d’avec les pays aux mêmes réalités et potentialités économiques et politiques pareilles.

La partie de copier-coller n’est pas terminée: “Cameroon imposes severe restrictions on the Internet… the “global and open nature of the Internet” is “a driving force in accelerating progress towards development in its various forms.” This is not the case in Cameroon.”  Là je ris à gorge déployée. De quelles restrictions s’agit-il ? Personnellement, en tant que journaliste et bloggeuse camerounaise, je ne suis jamais venue sur mon site et trouver que l’accès m’avait été retiré, encore moins sur mes boites mails, de plus je n’ai jamais entendu que des confrères ont vu l’accès à leur propre compte refusé par une administration quelconque d’Internet au Cameroun. J’ai plutôt vu certains journalistes-bloggeurs de mon pays voir leur blog ou leur site bloqué parce qu’hébergé dans certains pays occidentaux où des lois sur le numérique sont plus coriaces et ne pardonnent pas. Chaque jour dans mon pays, je vois les tenanciers de call-box, de tourne-dos, des taximens, des marchands, des étudiants, des travailleurs, des hauts cadres de la République….ouvrir et ré-ouvrir à volonté des espaces de communication en ligne sans en être inquiétés « politiquement » ou administrativement. Ne parlons pas des femmes camerounaises qui sont tristement passées célèbres pour leur spécialisation « trouver un mari sur Internet ». Je n’oublie pas dans ce listing les « travailleurs » du son qui téléchargent en longueur de journée des films, des musiques de toutes sortes sur Youtube afin de pouvoir se faire un peu de sou auprès des populations friandes de leur marchandise (50 francs CFA la musique et 200 francs le CD de films piratés en ligne). On pourrait passer des heures à énumérer ces exemples de culture en ligne que seul le Cameroun connaît et promeut.

Internet pourvoyeuse d’emplois et moteurs de développement au Cameroun n’est plus à démontrer. Un mois ne passe dans toutes les régions du pays sans que l’on ait une conférence, un atelier de renforcement de capacités, des échanges d’expériences autour d’Internet et les TIC. Des communautés web et IT ont vu le jour et continuent de se construire physiquement comme en ligne. Où classez- vous les communautés web et IT autour des évènements comme Barcamp Cameroon, 9ideas Conference, Cameroon Start Up Challenge, G-Cameroon, Software Freedom Day, Fête de l’internet, Cameroon Cyber Security Day (en préparation), Opération 100 000 femmes à l’horizon 2012, Kongossa Web Series…sans compter les formations récurrentes organisées par le Ministère des Postes et télécommunications ? Pourquoi voit-on tous les jours les organisations internationales du secteur des TIC et du Web (ICANN, ISOC, AFRINIC, GOOGLE, MICROSOFT….) soutenir des rencontres et former des experts au Cameroun ? Pourquoi des journalistes, des blogueurs, des écrivains et développeurs Camerounais remportent des prix et distinctions dans de hautes sphères scientifiques dans leurs différents domaines d’expression en ligne ? Ce qui est curieux, c’est que parmi les organisations à l’origine de ce rapport, se recrutent les membres de jurys des différents concours distinctifs sus-cités.

Dans le cadre de la formation des jeunes Camerounais, pourquoi le  gouvernement a-t-il introduit dans le système secondaire des classes de « 3ème Informatique » ? Pourquoi dénombre-t-on à chaque coin de rue des cyber-cafés ? Même dans les villages, comme à Kaélé et ses environs,  il existe au moins un cyber-café et parfois des centres de télécommunications, de quel Internet parle-t-on ? A Boboyo, mon village, les élèves du CES sont connectés grâce à une salle informatique fournie. A Limbé, les élèves d’une école maternelle travaillent avec des ordinateurs munis de logiciels libres et connectés à Internet. Un Technopole existe à l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé. Un Data center est en cours de création à Orange Cameroun pendant que MTN Cameroun en possède un. De quelle croissance parle-t-on quand on réduit à néant les efforts des créateurs Camerounais dans les domaines IT. Où mettez-vous les deux tablettes tactiles créées par de Camerounais si Internet est restrictif au Cameroun : Cardiopad et Limitless Mind Tab ? Pourquoi crée-t-on tous les jours des applications mobiles comme NoBakchich pour lutter contre la corruption ? Pourquoi des projets de social TV comme Djoss TV et d’Open Data comme Access-Cameroun sont mis en place ? Pourquoi de nombreux investisseurs IT s’installent et prospectent les marchés camerounais avec leurs produits IT et en ligne ? Pourquoi les internautes Camerounais se retrouvent en 15ème place des statistiques sur des réseaux sociaux en Afrique ? A votre sens je crois que c’est pour limiter Internet au Cameroun. Juste à titre de rappel, les TweetSMS de MTN Cameroun suspendus au Cameroun pendant une dizaine de jours (vous le mentionnez d’ailleurs), ont été réactivés par l’Etat Camerounais parce que les communautés web précédemment mentionnées ont fait un Buzz Internet et un lobbying corsé pendant cette suspension. Preuve que la liberté d’expression en ligne existe vraiment.

Pour terminer

Il est inévitable que ce rapport a été écrit sur la base des a priori. Il aurait dû trouver fondement sur une enquête fouillée au Cameroun. Selon toute vraisemblance, aucune descente sur le terrain n’a été faite pour infirmer ou confirmer tous « les chefs d’accusations » contenus dans ce rapport. Ce qui rend le rapport assez écœurant, c’est que l’on retrouve des Camerounais dans l’une des organisations signataires du rapport. C’est à croire que ceux-là n’ont jamais vécu dans leur pays après l’ère de la démocratisation et de l’arrivée d’Internet. Faut-il toujours faire preuve de mauvaise foi pour se vendre internationalement et en ligne au détriment de l’histoire et des réalités de tout un pays ? Là est la question et la motivation de ce post. Internet Sans Frontières et Cie auraient dû à mon avis faire un rapport comparatif sur toute l’Afrique, voire tout le monde entier afin de voir Etat par Etat le plus libre sur Internet. De toutes les manières, en consultant les statistiques, nous ne serions les derniers au Cameroun puisqu’en utilisant le seul réseau social Facebook, les statistiques de Socialbakers classent le Cameroun  15ème, avant plusieurs pays africains parmi lesquels le Lesotho et la Mauritanie. Le classement se fait sur 49 Etats, et, par déduction, 3 pays n’utilisent pas ce réseau social et probablement pas Internet. Dans ces Etats là, qu’est-ce qui met en danger Internet et la liberté d’expression en ligne, sûrement pas le Cameroun. De toutes les manières je crois bien que le Cameroun répondra de ces accusations au Conseil des droits de l’homme comme vous l’avez annoncé en avril et mai 2013.

 

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2 réponses à Ce que je pense du rapport sur la liberté d’expression en ligne au Cameroun de PEN-CPJ-ISF du 15 octobre 2012

  1. Une chose est incontestable, la presse camerounaise est pourrie, par des journalistes d’un autre genre, qui foulent du pied les concepts sacrés tels la déontologie et l’éthique. Qui diffament, calomnient, injurient, etc. des individus, des hauts-commis d’État, et autres responsables d’administrations publiques. Parmi eux, très peu sont punis, et très souvent, la plupart d’entre eux sont encouragés par ces mêmes hauts-commis d’État pour saboter ou déstabiliser les actions de potentiels rivaux.
    De l’autre côté, il faut reconnaître qu’en termes de cadre juridique et socioprofessionnel, nous avons encore du chemin. Pour rendre plus clair l’exercice de la profession, et pour détacher définitivement le politique du journaliste. Et là, tu reconnaîtras avec moi que l’État fait tout pour garder une main-mise certaine sur la presse. Notamment en accordant le droit de fonctionner à ceux qui ne peuvent pas payer leurs droits, et en faisant semblant de ne pas voir certains délits.
    Il s’agit, ma très chère, d’une stratégie bien huilée, qui permet au politique d’avoir une bonne marge de manœuvre, laisser s’accumuler les fautes, pour s’en servir au moment opportun.
    Très heureux de te lire, mes encouragements.

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